une page s'est tournée, laissant à terre notre enfance brisée

« elle court. le sable blanc lui brûle les pieds, le vent du nord fait frissonner ses bras nus. mais sans se retourner, elle continue d’avancer. toujours tout droit, toujours plus loin.
puis soudain, elle s’arrête. elle laisse tomber son corps fatigué sur la grève et sort de sa poche une cigarette qu’elle glisse entre ses lèvres gercées sans l’allumer. ses paupières se ferment, elle est seule dans l’obscurité du crépuscule. elle sent la terre sous elle, elle s’imagine les cadavres de milliers d’années auparavant morts et enterrés ici, là où elle mourra sans doute, là où on cachera son cercueil pour vite oublier sa présence sur terre. l’odeur de la nicotine monte à son nez, la cigarette, toujours vierge, se froisse entre ses dents.

un silence s’est installé ; seuls d'innocents oisillons continuent de cui-cuiter. ils ne savent pas ce qui les attend, ils ne connaissent pas encore la cruauté de la vie.

déjà, le jour se lève. bientôt, elle devra se relever et affronter la réalité: les moqueries chuchotées dans son dos ou directement postillonnées au visage, son casier tagué d’insultes et son unique sandwich écrasé sur le sol.
ça fait longtemps que ça dure; l'adolescence, quel amas de conneries. ça fait longtemps qu'elle a arrêté de pleurer; ses larmes se sont épuisées.

ses yeux se r'ouvrent. le soleil passe au-dessus de la mer, le ciel a rosit. tant de temps s'est écoulé depuis sa dernière visite, tant de souvenirs ont été enterrés, bon à oublier. elle s'y revoit encore, dansant autour d'un feu de camp, entourée d'amis. c'était avant, il y a longtemps.
elle continue de sourire mais elle reste de marbre. le temps passe, et elle se complaît dans sa carapace.
la justice ? ça n'existe pas dans le monde dont elle fait partie. tout n'est que guerre et vengeance pour être aimé ou reconnu.

plus personne ne vit, de nos jours. tout le monde survit.

la vie est une course. le premier à devenir populaire, à faire l'amour, à décrocher un job. mais personne ne part en même temps. certains ont déjà des kilomètres d'avance grâce à leur statut social, leur patrimoine ou leur famille. d'autres, au contraire, restent toujours à la traîne sans récupérer leur retard. ils meurent plus tôt en ayant moins vaincu.

life is not fair. »